J’aurai plaisir à vous parler de Delacroix, à faire revivre devant vous cette puissante personnalité, à rendre le mouvement de ce peintre étrange, plein de défauts impossibles à défendre, plein de qualités impossibles à contester, qui sauta par-dessus le talent pour arriver au génie, et pour lequel, amis ou ennemis, admirateurs ou détracteurs, peuvent s’égorger en toute conscience, car tous auront raison, ceux-ci d’aimer, ceux-là de haïr.

Il faut préciser d’emblée que cette oeuvre est le fruit d’une collaboration entre deux artistes à plus d’un siècle d’intervalle (1864 - 2019). Le texte est signé Alexandre Dumas et l’adaptation et les dessins sont réalisés par Catherine Meurisse. Et c’est l’incroyable modernité du texte – ou de l’ensemble, nous y reviendrons – qui frappe en premier. La plume de Dumas est exquise. Cet hommage qu’il rend à son ami Eugène Delacroix est frappé par la grâce. Loin d’être une hagiographie, ce court texte est construit, comme il le dit lui-même, comme une suite d’anecdotes.

Non, j’ai simplement voulu par quelques anecdotes, en grande partie inconnues, je crois, vous faire connaître l’individualité de l’homme plus que le talent de l’artiste.

Et cette façon, à la manière d’un peintre, de brosser à grands traits d’anecdotes le portrait de son ami fonctionne car, comme il le suggère, elles révèlent l’homme qui se trouve derrière l’artiste. Et connaître un peu mieux l’homme permettra certainement de porter un regard différent sur les oeuvres de l’artiste et aidera peut-être à les comprendre un peu mieux. Certaines, comme celle de l’organisation du bal costumé, valent à elles seules le détour et paraissent complètement ahurissantes – on n’a qu’une envie, celle de savoir ce qu’est devenu ce vaste appartement – derrières d’autres se cache tout de même une vraie connaissance et une vraie admiration pour le travail de l’artiste et notamment son don pour la couleur.

Il y a dans la couleur de Delacroix quelque chose du brillant du cachemire de l’Inde ; le tissu en est moins régulier, le dessin en est moins savant que celui du cachemire français: mais mettez les deux cachemires à côté l’un de l’autre, et vous verrez le second tué à l’instant par le voisinage du premier.

Je parlais de la modernité de ce texte qui doit peut-être quelque chose à la mise en scène – je ne trouve pas de meilleur terme – de Catherine Meurisse. Elle s’articule donc autour de la retranscription manuscrite du texte de Dumas qui est agrémentée tour à tour par de petits dessins, des croquis, quelques dialogues entre des personnages (souvent Delacroix et Dumas) croqués à la façon caractéristique de la dessinatrice et illustré par de grandes fresques inspirées par le texte mais surtout par les tableaux de Delacroix. Il ne s’agit pas de reproductions, mais plutôt d’esquisses un peu à la manière de ce qu’a fait Emmanuel Guibert dans Légendes à partir d’oeuvres observées dans des musées, avec une attention certainement plus portée sur la couleur que sur les dessins. Ce patchwork donne vie au texte, le dynamise en soulignant, à minima, sa modernité. Voici comment deux artistes, Alexandre Dumas et Catherine Meurisse, se sont associés, à plus d’un siècle d’intervalle, pour nous mettre devant les yeux le génie d’un troisième qu’ils admirent tous les deux, Eugène Delacroix.


Meurisse, Catherine & Dumas, Alexandre. Delacroix. Dargaud, 2019.