Trust

Je ne dois pas avoir d’affinités avec les lauréats du prix Pulitzer. Je suis complètement passé à côté de ce livre, mais j’ai pu constater en lisant des critiques que je n’étais pas le seul. C’est le genre de roman clivant que l’on adore – en criant au génie – ou que l’on déteste – en criant à l’arnaque. Tout d’abord je n’aime pas trop les livres “à procédés” et celui-ci en est indéniablement un. Il n’y a qu’à lire la deuxième partie, qui est présentée comme le brouillon d’un récit qui reprend les mêmes évènements que la première partie, la crise de 1929, pour s’en convaincre. Ce qui me gêne, ou plutôt ce qui m’importe, c’est ce qui reste derrière ces artifices. De mon point de vue, pas grand chose. ...

Aliène

Le livre ressemble au récit d’un rêve ou plutôt d’un cauchemar. Mais pas de n’importe quel cauchemar, celui dont on se réveille en sueur, avec une impression amère et tenace de réalité. Dans ce genre de cas, la rémanence de ce malaise est souvent assez longue et l’on peine à s’en remettre. Le début du livre est enthousiasmant, l’atmosphère est particulièrement prenante. On est tout de suite plongé dans un univers subtilement étrange. Le subtilement a son importance car il pique la curiosité, on ne voit pas les grosses ficelles et on n’a qu’une envie, celle de tourner les pages. Cet effet est atteint par la combinaison de l’histoire et de l’écriture alliant modernité et usage de mots de savants. On n’est pas dans l’horreur, mais on tourne autour. ...

Les altruistes

Pour commencer je dois avouer que je suis un très bon client des romanciers américains dans le style – pour simplifier – de Jonathan Franzen. Je parle d’histoires contemporaines, souvent des histoires de famille ou des histoires d’amour. J’ai découvert Andrew Ridker à l’occasion de la sortie récente de son dernier roman – que j’ai bien envie de lire –, Hope. Les altruistes est son premier roman et on est clairement dans l’histoire familiale ou comment les traumatismes se transmettent de génération en génération. Il reprend le thème du péché originel qui, bien enfoui au tréfonds des consciences, pourrit lentement avant d’exploser au grand jour. Au passage, le patriarcat en prend un bon coup. Le livre sur ce point, mais aussi plus généralement, est drôle et très second degré. ...

Le père Goriot

Je possède ce Folio depuis que l’on m’a demandé de l’acheter dans le cadre des cours de Français au collège – ou au lycée. A l’époque, je ne l’avais pas lu, seulement certaines parties – le strict minimum. Depuis, de temps en temps, il se rappelait à moi et j’ai enfin sauté le pas. Il n’y a pas de principes, il n’y a que des évènements ; il n’y a pas de lois, il n’y a que des circonstances : l’homme supérieur épouse les évènements et les circonstances pour les conduire. ...

Un week-end dans le Michigan

Premier livre de la tétralogie qu’a consacré Richard Ford à son héros Frank Bascombe, l’écrivain devenu journaliste sportif – et pas l’inverse. Il date un peu, mais cette série, qui porte le nom de son héros, est considérée comme une pièce maîtresse de l’auteur américain. Ce côté un peu daté ne m’a pas gêné, c’était une autre époque qui a ses codes et ses conventions. Frank n’a pas été épargné par la vie, mais il est parvenu à surnager. Il se satisfait de son métier qui semble être un pis-aller à celui d’écrivain et tente de retrouver l’âme soeur. Au travers des rencontres de son personnage, Richard Ford veut explorer la vie des hommes dans ce pays, à cette époque. Il partage avec son héros une préférence marquée pour la ruralité. ...

Le dîner

Ce livre est plein de mauvais sentiments, il est malsain, toxique. Ne nous y trompons pas, il s’agit d’une oeuvre de fiction et ce que ressent le lecteur correspond certainement à l’effet recherché par l’auteur. Après Villa avec piscine, il s’agit du deuxième livre d’Herman Koch que je lis et c’est aussi la deuxième fois que son personnage principal me met mal à l’aise. La fiction est aussi là pour cette raison, pour nous bousculer, nous proposer d’autres choses, nous faire réfléchir et réagir, même si, comme ici, ce n’est pas toujours agréable. ...

Normal People

C’est le troisième roman de Sally Rooney que je lis, certainement le plus connu et pourtant certainement pas le meilleur. Il tire sa notoriété de son adaptation en série télé. Il faut dire qu’une histoire d’amour un peu chaude entre deux étudiants sur fond de transfuge de classe était manifestement une aubaine pour les producteurs. La série est certainement plus spectaculaire – je ne sais pas pourquoi, mais les producteurs ont tendance à mettre en avant les scènes de sexe – que le livre qui reste un campus novel somme toute très classique, sa seule singularité résidant dans l’évolution sociale des deux amants. Etant plutôt amateur de ce genre de roman, j’ai tout de même passé un bon moment. ...

La Foudre

Je ne connaissais pas Pierric Bailly jusqu’à ce que son dernier livre rejoigne les tables – déjà bien chargées – de la rentrée littéraire 2023. Dès les premières pages, j’ai été pris par ce roman, comme c’est rarement le cas. J’attribue cette attirance à la simplicité de la narration. Le personnage principal est aussi le narrateur et parle à la première personne, son récit est chronologique et linéaire – on peut difficilement faire plus simple. Cette simplicité apparente donne une impression de sincérité, tout porte à croire que l’auteur raconte sa propre histoire bien que ce ne soit évidemment pas le cas. ...

City on fire

Je ne sais pas pourquoi je me suis mis en tête de lire ce roman et encore moins de le terminer – je me souviens d’avoir fait le même genre de bêtise il y a des années avec un autre défi lancé aux lecteurs les plus patients, Jonathan Strange & Mr Norrell. Il est vrai que j’apprécie tout particulièrement la littérature américaine, mais là quand même près de 1000 pages dans un style très classique – pour ne pas dire ennuyeux – ça s’apparente à du masochisme. L’auteur, Garth Risk Hallberg, par cette allusion semble s’amuser de son style à rebours de la tendance – un peu d’autodérision, ça ne peut pas faire de mal. ...

L’invitée

Emma Cline a fait une entrée remarquée en littérature avec son roman The Girls qui s’inspire des crimes de la secte de Charles Manson. Elle revient cette année avec l’invitée, un roman qui raconte l’errance d’une jeune fille prénommée Alex. Ce roman parvient à laisser le lecteur au bord du précipice. On a l’impression qu’Alex va y tomber chapitre après chapitre. Il y a un côté Moins que zéro de Bret Easton Ellis, la défonce, l’argent, mais vu depuis l’autre côté, du côté de ceux qui ce brulent les ailes comme des insectes attirés par la lumière. ...

Que notre joie demeure

En littérature comme ailleurs il faut dépasser ses préjugés. Et je dois avouer que sur ce point, Kevin Lambert m’a donné une bonne leçon. Lorsque j’ai vu apparaître son visage dans les journaux et sur les écrans suite à la polémique déclenchée par son collègue écrivain Nicolas Mathieu à propos de l’intervention d’un sensitive reader – et donc d’une suspicion de censure, gros mot de la littérature – dans le processus d’édition du livre du québécois. La polémique a souvent l’effet inverse de celui recherché et un doute a commencé à poindre dans mon esprit. Et si je passais à côté de quelque chose ? ...

Cher connard

Ce livre n’est ni un livre sur MeToo, ni sur le COVID et le confinement, ni sur le défoulement de haine qui fait rage sur internet, ce sont simplement les marqueurs d’une époque qui nourrissent la conversation entre deux bad asses, un écrivain et une actrice, qui tentent de faire le deuil de leur vie d’avant que l’on pourrait résumer par la défonce. Rien ne m’attire rien ne brille rien ne me bouleverse plus. Je préfèrerais mille fois souffrir et crever d’un amour non réciproque, je préfèrerais être être répudiée être trompée être humiliée être maltraitée je préférerais n’importe quelle blessure d’amour-propre à cet ennui. ...

Humus

J’avais entendu parler d’un roman Houellebecquien, peut-être car, comme les protagonistes, Michel Houellebecq a été formé à AgroParisTech – pour être exact à Agro Paris-Grignon qui est devenu AgroParisTech – mais je pense plutôt à l’un des disciples du maître, Aurélien Bellanger. Comme les romans de Bellanger, Humus est avant tout un livre technique. La comparaison s’arrête là car Humus est d’un abord plus simple, moins technique, plus romanesque et se lit facilement. ...

Ceux du Nord-Ouest

C’est la première fois que je lis Zadie Smith et l’expérience est très convaincante. Ce roman comme son titre nous le suggère prend ses racines dans les quartiers du Nord-Ouest de Londres. L’éditeur compare ce roman au Mrs Dalloway de Virginia Woolf – pourquoi pas. Il raconte l’évolution parallèle, mais bien différente, de deux amies. De leur jeunesse à l’âge adulte. Cette narration n’est pas effectuée dans l’ordre chronologique, mais selon un tempo savamment orchestré. Et, c’est dans cette écriture qu’elle excelle, dans les dialogues à la fois externes, entre les personnages, et internes, dans la tête des personnages, ce que l’on appelle le courant de conscience. ...

Jan Karski

Le livre de Yannick Haenel consacré au héros de la résistance polonaise Jan Karski compte trois partie distinctes. La première est une reprise de l’interview de Jan Karski filmée par Claude Lanzmann dans le cadre de son film Shoah. Elle permet de donner le contexte et sert en quelque sorte d’introduction. La deuxième est le résumé du livre Story of a Secret State écrit par Jan Karski dans lequel il raconte la période qu’il a consacré à la résistance et notamment, ce qui le hantera toute sa vie, la découverte et la visite du ghetto de Varsovie et du camp d’extermination de Bełżec. Dans ces lieux, il verra ce qu’un être humain ne peut concevoir. ...

Peste & Choléra

Qui connaît Alexandre Yersin ? Pourtant, il est passé à la postérité en donnant son nom au tueur ultime, le bacille de la peste, le terrible Yersinia pestis. On s’attend à ce que cette découverte soit le point d’orgue de ce roman de Patrick Deville qui ressemble à une drôle de biographie du savant. Mais il fait tout pour nous convaincre que cette découverte n’est qu’une anecdote dans le parcours de ce touche-à-tout qui s’est intéressé à une grande partie des avancées scientifiques de son époque dans des domaines variés depuis sa résidence installée en Indochine. Là ou le grand public voit le savant, le collaborateur du grand Louis Pasteur, Patrick Deville voit l’explorateur. ...

Assemblage

Natasha Brown est une jeune romancière britannique et Assemblage est son premier roman. Un roman sur le thème de l’intégration d’une jeune femme noire – qui a dû lutter contre ce double préjugé – dans l’Angleterre post-coloniale de la noblesse. L’écriture est moderne, très neutre, voire complètement dénuée d’émotion. Un courant de conscience qui saute volontairement brutalement de contexte pour mieux s’installer dans la tête du personnage. Elle reflète la froideur, le détachement extrême et clinique de ce personnage qui a pourtant brillamment réussi. Par ce comportement, elle semble montrer son refus d’intégrer cette société alors qu’elle a tout donné et est même allée jusqu’à se renier pour parvenir à ce niveau. Un peu à la manière d’un marathonien qui, devançant largement ses adversaires, déciderait de s’arrêter juste avant de franchir la ligne, comme pour prouver qu’il peut y arriver et être meilleur que tout le monde tout en montrant qu’il ne rentre pas dans ce jeu. C’est plus qu’une désillusion, un désenchantement total, comme si rejoindre ce monde revenait à lui donner raison, à l’approuver. ...

Play boy

Constance Debré est la fille de François Debré et la petite fille de Michel. Pour le dire vite, elle fait partie d’une des plus illustres familles de notre république pleine à craquer de femmes et d’hommes ayant exercé les métiers les plus prestigieux. Constance s’est lancée dans le sillage de sa famille. Après de brillantes études, elle devient avocate, se marie et donne naissance à un fils. Mais cette façade s’est vite craquelée pour révéler sa vraie personnalité, aimer les filles et détester les vies bien rangées. Pour que ce changement soit bien clair aux yeux de tous, elle se rase la tête, se fait faire des tatouages et devient finalement celle qu’elle a toujours été. Ces éléments biographiques ne sont pas accessoires puisqu’ils constituent la trame narrative de ce livre et d’autres livres de l’autrice. S’il est écrit “roman” sur la couverture, ce Play boy ressemble furieusement à un fragment de biographie. ...

Les Liens artificiels

La couverture donne le ton, Narcisse amoureux de son reflet dans un smartphone. Donc un roman sur le metaverse voilà une idée qui n’est pas nouvelle puisque l’on doit son apparition en littérature à Neal Stephenson, mais qui constitue toujours un projet autant prometteur que compliqué à mettre en oeuvre. Le jeune Nathan Devers – c’est un pseudonyme – s’en tire très bien. Ici ce n’est pas dans le science-fiction, mais plutôt de la très légère anticipation, puisque tout ce qui est décrit existe déjà plus ou moins. Si j’osais, je dirais de l’anticipation à la Houellebecq avec son invention du médicament du bonheur dans Sérotonine, ce n’est pas la réalité, mais ce n’est pas très loin non plus. Il s’empare très bien de ce sujet en en saisissant les aspects économiques et sociétal qui ont déjà commencé à faire des ravages en transposant la vie des gens – je veux dire par là ce à quoi ils attachent le plus d’importance – dans le monde numérique. Aujourd’hui, celui des divers réseaux sociaux où ils s’incarnent en d’autres eux-mêmes – une version différente souvent améliorée d’eux-même – et demain dans un univers qui sera plus vaste et dans lequel ils auront le loisir de vivre une autre vie. ...

Climax

Le mot climax s’emploie souvent au figuré pour désigner l’acmé, le point culminant d’un récit. Mais il désigne également, en science, un état optimal d’équilibre écologique. Ce mot polysémique est le titre parfait pour ce livre qui mêle habillement écologie, mythologie et fantasy. Sur la couverture, le titre du jeu, Dungeons & Dragons, annonçait en lettres grasses et travaillées le programme de leurs dernières après-midi de vacances. Thomas B. Reverdy est particulièrement à l’aise dans ce numéro d’équilibriste et se sort avec les honneurs de ce projet ambitieux qui aurait pu tomber à plat. Les parties les plus romancées insufflent de la vie et une touche d’originalité à cette fable écologique très convaincantes. Les volets scientifiques sont d’une précision chirurgicale sans être ennuyeux, on sent qu’il a vraiment travaillé son sujet. ...