L’annulaire

C’est en écoutant une émission de radio consacrée à Françoise Nyssen récemment nommée ministre de la culture, que j’ai pensé à Yoko Ogawa. Pourquoi ? Parce qu’avant d’exercer ces hautes fonctions elle fut la directrice des éditions Actes Sud créées par son père. Il faut se souvenir que pour se faire une place parmi les grands, Actes Sud a d’abord misé sur un terrain relativement délaissé par ses concurrents, la littérature étrangère. Elle a su dénicher des auteurs de talent issus des quatre coins du globe et à l’instar de Paul Auster pour les États-Unis, Yoko Ogawa peut être érigée en digne représentante du Japon. Elle est au catalogue depuis le milieu des années 90 et comme pour Paul Auster, Actes Sud propose un recueil de ses oeuvres (une intégrale) disponible en deux volumes. Elle écrit des histoires où le fantastique s’insinue volontiers dans le quotidien un peu à la manière d’Haruki Murakami pour qui elle revendique une admiration et une filiation. Malgré des lectures enthousiasmantes du Musée du silence, de La formule préférée du professeur, je m’étais arrêté sur un décevant Parfum de glace et n’avais plus rien lu d’elle depuis plusieurs années. Je me souvenais posséder un fin volume grand format et je me suis donc mis en quête de L’Annulaire – ce qui ne fut pas chose facile. ...

Silo T1

Actes Sud s’intéresse à la science fiction – c’est déjà une très bonne nouvelle – et vient de publier une intégrale consacrée à un petit phénomène de l’édition aux Etats-Unis, Silo. L’objet est très beau – j’ai une attirance pour les gros livres – et j’ai dû faire preuve d’une volonté de fer pour ne pas l’acheter immédiatement et attendre patiemment que le premier tome (sur trois) soit disponible à la bibliothèque. Et je n’ai pas regretté pour une fois d’avoir fait preuve de patience. ...

L’ordre du jour

Ce livre nous raconte le moment où les nazis se trouvant sur le seuil des Enfers ont poussé la porte et l’ont franchie. Il s’intéresse à une période temporelle très courte en comparaison du vaste carnage qui va suivre. Lorsque les nazis ont préparé et réalisé l’annexion de l’Autriche, opération connue sous le non d’Anschluss, début d’un long processus destructeur qui mènera à l’horreur que nous connaissons. Au sein de cet espace-temps, Éric Vuillard met en lumière deux choses. La première, celle par laquelle débute ce livre avec la montée solennelle des 24 chefs d’entreprise le long du grand escalier est la contribution de l’économie allemande à l’effort de guerre. Ça c’est la version consensuelle. L’auteur préfère montrer comment ces capitaines d’industrie ont accepté sans broncher de mettre la main au portefeuille pour financer les projets des nazis et comment ils ont été payés en retour à grand renfort de main d’oeuvre gratuite et corvéable à merci puisque prise directement dans les camps. Dans ces conditions, elle ne durait pas longtemps, mais qu’importe, les nazis étaient là pour réapprovisionner. ...

Boussole

Le mot qui revient le plus souvent lorsque l’on entend parler de ce livre est érudition. Et, après seulement quelques pages, on comprend pourquoi et on ne peut que se rallier à cette opinion. C’est vrai que c’est surprenant, impressionnant – et beaucoup d’autres superlatifs – et même si l’on sait que Mathias Enard est un spécialiste de l’Orient, on se demande comment il a fait pour réunir dans ce roman une telle somme de connaissances, d’anecdotes, d’histoires – avec un petit et un grand H –, bref de tout, une somme, un monde. Le sujet de ce roman, qui a reçu le prix Goncourt en 20151, son thème, est l’Orient et plus spécifiquement l’orientalisme qui est un mouvement culturel occidental – au sens large – manifestant un attrait pour la culture orientale. Après la lecture de ce livre je me risque à en donner ma propre définition: “L’Orient fantasmé par les occidentaux” – éminemment subjective, réductrice et donc critiquable. ...

Moon Palace

Je suis un inconditionnel de Paul Auster et je poursuis, avec la lecture de Moon Palace, le parcours de son oeuvre. Le livre commence bien, le personnage principal est un jeune homme étrange dont la vie n’est pas simple. Il est passionné de littérature, anticonformiste, bref un personnage comme on les aime. Puis, il fera la rencontre d’un vieil homme au passé trouble et qui pourrait bien se révéler être encore plus étrange que lui. Leur rencontre est-elle le simple fruit du hasard ? ...

Ulysse

Lorsque j’ai aperçu cette BD sur la table du libraire, j’ai tout de suite su qu’elle allait me plaire. Tout d’abord pour une raison complètement subjective qui est que j’adore les gros volumes reliés et qu’il faut bien reconnaître qu’Actes Sud a fait là du très beau travail. Ensuite je porte depuis toujours un grand intérêt à la Grèce antique. Enfin, j’apprécie tout particulièrement ce type de dessin simples et travaillés à l’aquarelle. ...

31 janv. 2016 ·  BD  ♥

Le Livre des illusions

Je ne sais pas trop quoi dire. Je suis un peu déstabilisé, c’est la première fois que je n’apprécie pas un livre de Paul Auster. Pourtant, on présente ce Livre des illusions comme une pièce maitresse de l’oeuvre de l’écrivain new-yorkais. Paul Auster est un précurseur, il a mis le cinéma muet à l’honneur bien avant qu’il soit brusquement sorti des oubliettes par le triomphe du film The Artist. Jean Dujardin tiendrait ici le rôle d’Hector Mann, un acteur qui a connu le succès, mais qui n’a pas su – ou pu –, principalement à cause d’un accent étranger, prendre le virage du cinéma parlant. Comme Paul Auster adore les récits gigognes, c’est un autre écrivain, David Zimmer, qui se charge de nous raconter son histoire. Puis les récits gigognes deviennent des récits enchâssés puisque les deux personnages – n’oublions pas que Zimmer est un personnage – vont vivre un drame et le hasard, toujours lui, finira par les rapprocher. Le tout se déroule sous le haut patronage de Chateaubriand et de ses Mémoires d’outre-tombe1. ...

La propriété

Voici mes premières impressions à chaud. J’adore les dessins, de la belle ligne claire, des aplats de couleur bien choisis, tout ce que j’aime. Après la première scène à l’aéroport, je me dis que le personnage de la grand-mère a beaucoup de potentiel. Je commence à deviner des éléments de l’histoire, mais je ne sais pas trop où elle me mène. Je me laisse porter et j’aime ça. Enfin, plusieurs premières. Actes Sud en BD et une traduction de l’hébreu. Donc beaucoup d’enthousiasme en débutant ma lecture. ...

19 nov. 2014 ·  BD

Le sermon sur la chute de Rome

Pour la deuxième fois, le Goncourt est remporté par Actes Sud. La maison d’édition d’Arles ne pouvait rêver mieux pour inaugurer ses nouvelles couvertures qu’un beau bandeau rouge siglé du Graal de la littérature française. Elles ne sont plus illustrées, mais affichent l’austérité qui est devenu l’apanage des prestigieuses collections des grandes maisons comme Gallimard ou Grasset. La seule concession au conformiste concerne le format plus étroit que les standards qui devenu au fil du temps la marque de fabrique de la maison. Mais parlons du livre et de son auteur Jérôme Ferrari. Ce professeur de philosophie avait déjà fait parler de lui avec son précédent roman Où j’ai laissé mon âme1 traitant de la torture en Algérie. L’Algérie où il a enseigné, il en est question dans ce livre, mais ce n’est pas le théatre principal du roman. Il se déroule sur les lieux d’une autre de ses affectations : la Corse. ...

La nuit de l’oracle

New York, un écrivain, un carnet – un bleu et pas un rouge –, le hasard, une pointe de mystère et une mise en abîme, on est bien chez Paul Auster. Installez-vous confortablement et profitez de ce bon moment. Tout le monde connaît l’histoire du gars qui sort acheter des cigarettes et qui ne revient jamais. Eh bien c’est un peu cette histoire, mais en plus subtil. Sidney Orr, le personnage écrivain de Paul Auster, va se lancer dans l’écriture d’un roman dont l’idée lui a été soufflée par son ami et l’ami de sa femme – vous verrez, ce n’est pas anodin – lui aussi écrivain John Trause. Il s’agit de reprendre à son compte une anecdote racontée par Sam Spade le détective du roman de Dashiell Hammett Le faucon de Malte1. Elle est connue sous le nom de “parabole de Flitcraft”. Flitcraft, raconte Spade, est un homme bénéficiant d’une vie confortable, d’une famille, de l’argent, bref quelqu’un qui, comme l’on dit, a tout pour être heureux. Mais un jour, il quitte son travail et disparait. Que lui est-il arrivé ? Eh bien en allant déjeuner, il manquât d’être tuée par la chute d’une poutre tombée d’un immeuble en construction. Le souffle de la mort lui fit prendre conscience que l’existence peut s’arrêter d’un moment à l’autre et qu’il est temps de mettre de côté sa vie rangée pour en vivre une nouvelle. La morale – puisqu’il s’agit d’une parabole c’est-à-dire d’une allégorie – ne se trouve paradoxalement pas dans cette prise de conscience subite, mais dans la fin de l’histoire. Lorsque Spade croise Flitcraft des années plus tard, il vit sous le nom de Charles Pierce – ce qui semble être une référence au philosophe Charles Sanders Peirce – dans une autre ville. Il a un nouveau travail, une nouvelle femme et un bébé. Bref, Flitcraft a quitté sa précédente vie pour en recréer une similaire, il est revenu à sa vie d’avant. ...

Permission

Prenez un fond de 19841, ajoutez-y une bonne dose de Fahrenheit 4512, assaisonnez d’une pincée de Kafka, modernisez le tout et vous obtenez Permission. Mon raccourci est un peu facile mais il s’agit bien, comme pour ses illustres prédécesseurs, d’une dystopie. L’histoire se déroule ici au sein d’une entreprise qui officie dans le domaine politique. Elle joue un rôle dans le processus complexe des négociations entre états – nous en savons quelque chose en tant qu’européens.Le protagoniste de cette histoire est chargé d’établir les comptes rendus des débats et des réunions. Il va sans dire que ses écrits se doivent d’être impartiaux et rédigés de façon formelle. L’écriture réside donc au coeur de son activité professionnelle. Il l’utilise également à des fins personnelles puisqu’il rédige également un journal. C’est au travers de ce journal que nous découvrons l’histoire. ...

La Princesse des glaces

Dans ce polar, celle qui joue le rôle de la détective est Erica Falck, une romancière suédoise – tient comme l’auteur. L’intrigue se déroule à un époque contemporaine dans un petit village suédois au nom imprononçable de Fjällbacka. Une jeune femme originaire du village est retrouvée morte dans sa baignoire dans une posture qui évoque le suicide, les poignets entaillés par une lame de rasoir. La porte de la maison est restée ouverte, l’eau a gelé – je vous rappelle que nous sommes en Suède – ce qui nous donne une belle référence au titre du livre. Notre détective en herbe – enfin elle a tout de même 35 ans – va se retrouver mêlée à cette histoire car elle était une amie d’enfance de la défunte. Elle va s’impliquer de plus en plus dans cette affaire pour suppléer la bande d’incompétents de la police – enfin tous sauf un – mais aussi et surtout car elle compte bien y trouver de la matière pour un futur livre, son premier roman. ...

Parfum de glace

Commencez par une bonne dose de parfum, saupoudrez d’une pincée de mathématiques, ajoutez des glaçons et remuez pour obtenir Parfum de glace. Le livre débute par la mort, a priori par suicide, du fiancé de Ryoko, Hiroyuki, un jeune homme discret et intelligent exerçant le métier de parfumeur. Mais Hiroyuki n’est pas celui que croit être Ryoko malgré le fait qu’ils vivaient ensemble. En enquêtant sur les raisons de sa mort, elle va découvrir les nombreuses facettes de ce jeune homme hors du commun. ...

La porte des enfers

Je ne vais pas tourner autour du pot et vous dire d’emblée que j’ai été déçu à la lecture de ce livre. La déception est encore plus amère car je sortais d’une très bonne surprise avec La mort du roi Tsongor. C’est vrai que le sujet est ambitieux. Traiter de la mort et des enfers, reprendre à son compte le mythe d’Orphée. Défier la mort, la seule vraie crainte de l’être humain n’est pas chose facile. ...

La Musique du hasard

J’étais de mauvaise humeur et je ne trouvais rien à lire. Après avoir ouvert plusieurs livres, lu les premières pages et aussitôt reposé le livre, j’ai décidé de revenir aux fondamentaux. Direction l’étagère réservée aux romans de Paul Auster et sélection d’un roman au titre évocateur sans être pompeux ni aguicheur – comme l’on en voit malheureusement de plus en plus – La musique du hasard. Comme le laisse supposer le titre, le hasard joue un rôle central dans ce roman. Vous savez, celui qui vous fait prendre une route plutôt qu’une autre, entrer dans un magasin et y croiser, au détour d’un rayonnage, une personne que vous n’aviez pas vu depuis longtemps, enfin celui qui vous pousse à vous arrêter lorsque vous apercevez un inconnu marcher seul au bord de la route… ...

Le musée du silence

Dans un petit bourg japonais isolé, une très vielle dame conçoit un étrange projet. Elle souhaite dédier un lieu aux habitants de son village. Ce sera un musée, le musée du silence puisque ceux auxquels elle souhaite rendre hommage sont morts. Pour ce faire, elle a une idée originale. Elle souhaite exposer un objet propre à chacun des défunts. Bien sûr ce n’est pas n’importe quel objet mais un objet qui représente le plus fidèlement possible chaque habitant. Ce ne doit donc pas être un objet banal comme une brosse à dent ni un objet d’exception comme peut l’être une montre ou un bijou. Il faut qu’il soit intimement lié à la personne, qu’il contienne un peu de son âme afin qu’elle puisse survivre par-delà la mort. C’est pour rassembler cette collection et devenir le conservateur de ce curieux musée qu’est embauché le jeune homme, protagoniste principal de cette histoire. Surpris dès le début par l’entreprise que souhaite mener cette troublante vielle dame, il va tomber de Charybde en Scylla en découvrant bien des mystères. ...

L'année où j'ai vécu selon la Bible

Après s’être attaqué à la gigantesque encyclopédie Britannica, A.J. Jacobs, journaliste pour le magasine Esquire, s’est attaqué à un autre monument. Je parle bien évidemment du livre parmi les livres: La Bible. L’auteur a décidé de vivre pendant un an selon les préceptes du livre saint. Il expérimente le littéralisme en appliquant les règles au sens strict. Suivre ces principes vieux de plusieurs milliers d’années dans le New York des années 2000 réserve quelques surprises et quelques situations cocasses. Porter une barbe, une robe blanche à laquelle – la robe pas la barbe – sont accrochés des pompons attire évidemment quelques regards interrogateurs. Il n’est pas non plus facile de garder des moutons ou de pratiquer la lapidation en plein Central Park. Mais, il est encore plus difficile d’éviter les mauvaises actions que tout citadin pratique avec assiduité et une régularité d’horloger chaque jour: ...

Invisible

“Si comme moi vous lisez pour éprouver le plaisir de tomber amoureux d’un roman, alors lisez Invisible. C’est le meilleur roman que Paul Auster ait jamais écrit.” Ces propos ne sont pas de moi mais de Clancy Martin un journaliste du New York Times. C’est après les avoir lu, au dos du numéro du magasine Lire du mois d’avril, que j’ai décidé de courir acheter ce nouvel opus de Paul Auster. Même si ça me gène profondément d’être à ce point manipulable par la publicité, je ne vais pas m’en plaindre pour cette fois car je partage largement l’avis de ce journaliste américain. Je n’ai pas lu tout Paul Auster et loin s’en faut mais parmi mes lectures, dont Léviathan, il se hisse aisément sur le podium. L’alternance entre les types de narration, les époques, les personnages est un modèle du genre. Cette maîtrise dans la narration transforme ce qui, vis à vis de l’histoire, était déjà un très bon livre en un très grand. ...

La mort du roi Tsongor

La mort du roi Tsongor est d’abord une tragédie grecque ou un drame shakespearien transposé en Afrique. Il y est question d’un roi bien sûr, d’amour, de liens fraternels, de trahison, de mort et de guerre – c’est deux derniers allant malheureusement toujours ensemble. Tous les ingrédients qui ont été utilisés, depuis l’Iliade et l’Odyssée, pour raconter les plus belles histoires, les grands mythes fondateurs, sont à nouveau réunis et agrémentés d’épices africaines. En faisant le voyage sur ce continent, ce mythe s’est nourri des contes et des légendes locales. Il y a croisé la magie et a fait sienne l’imaginaire de tout un peuple. Ce changement de décor lui confère une esthétique originale et nous prouve que quelque soit le lieu et l’époque, seule la folie des hommes est invariante. ...

La formule préférée du professeur

Une femme de ménage est embauchée par la belle-sœur d’un vieux professeur de mathématiques. Dès leur première rencontre et alors que le professeur l’assaille de questions saugrenues, elle est surprise de constater que la veste du professeur est constellée de notes manuscrites maintenues au tissu par des pinces. Elle va vite comprendre que c’est la mémoire du professeur qui est ainsi répandue sur des bouts de papier griffonnés à la hâte. Dans sa défaillance, la mémoire du professeur est d’une précision mathématique car elle ne persiste que 80 minutes. Quel désarroi pour ce pauvre homme, pour lequel le temps s’est arrêté bien des années auparavant, de revivre chaque jour la rencontre avec une femme de ménage qui semble très bien le connaître. Malgré son handicap, le professeur conserve ses capacités de réflexion et, s’il y a bien une chose qu’il n’a pas oublié ce sont les mathématiques et ses nombreuses curiosités : Les nombres parfaits, triangulaires mais surtout les nombres premiers. Ces nombres ne comportant pas de diviseur sont auréolés de mystère car on ne sait toujours pas les dénombrer ni même prédire leur apparition. ...