L'accident de chasse

C’est un panoptique, une idée du philosophe Jeremy Bentham selon laquelle on peut traduire dans l’architecture les structures de pouvoir d’une société. Toutes les cellules sont tournées vers un seul mirador central. Il voulait ainsi que les prisonniers se sentent constamment surveillés. Je classe L’accident de chasse dans le club des très grandes bandes dessinées, je vais en citer quelques-unes pour donner une idée: L’Ascension du Haut Mal, Fun Home, Moi ce que j’aime, c’est les monstres, Asterios Polyp ou bien encore Maus. Pour faire partie de ce panthéon il faut un fond solide allié à une forme remarquable. Le fond est ici une histoire à tiroirs basée sur la vie du père et du fils Rizzo que l’auteur David Carlson a rencontré. L’histoire du père est connectée à celle, moins connue en France qu’aux États-Unis, de Leopold & Loeb que j’avais découvert – il y a très longtemps – en lisant le très bon livre Crime de Meyer Levin. L’auteur nous offre donc également l’occasion de revenir sur ces évènements sous un angle différent. ...

28 avr. 2025 ·  BD  ♥

La Fin de l'homme rouge

Nous avons passé toute notre histoire à survivre, et non à vivre. Ce livre contient tous les malheurs et toutes les horreurs du monde, une boîte de Pandore qui aurait été ouverte à l’est de l’Europe. La lecture est éprouvante – parfois insoutenable –, on a du mal à réaliser, une souffrance d’un tel niveau paraît incroyable, impensable. Pour l’écrire, Svetlana Alexievich a interrogé la population et retranscrit ces entretiens. Le procédé ressemble à celui utilisé par Jean Hatzfeld pour relater les atrocité commises durant le génocide rwandais. C’est passionnant de lire toutes ces voix, ces mémoires qui s’expriment. Le choix des témoins est particulièrement important pour offrir une vision objective. ...

Alyte

Alyte signifie: “Qui ne peut être délié”. C’est un très beau nom. Une belle fable écologique est la bienvenue par les temps qui courent et nous pouvons remercier Jérémie Moreau pour cela. On sait depuis Les Pizzlis que cette thématique lui tient à coeur – et il a bien raison car nous sommes tous concernés – et, armé de ses crayons, il apporte sa pierre à l’édifice pour faire bouger les consciences. Dans cette BD, on suit le parcours d’un crapaud (alyte) accoucheur – un digne représentant de la gent masculine puisqu’il a la particularité de porter les oeufs – confronté à la dure loi de la nature. ...

19 mars 2025 ·  BD  ♥

Le chien gardien d'étoiles

Le chien est le meilleur ami de l’homme et il vrai que la fidélité sans faille qu’il voue à son maître, sa loyauté en fait un témoin privilégié de la vie des hommes. C’est le fil rouge – et même un peu plus que ça – de cette série de Takashi Murakami dont les volumes sont ici regroupés en intégrale. Ce que l’on pourrait prendre au début pour une suite de nouvelles est en fait un ensemble cohérent intelligemment connecté. Mais si les chiens en constituent la colonne vertébrale, ces histoires ne parlent pas tant d’eux que de leur maître. Ils sont les compagnons d’infortune d’hommes et de femmes qui traversent des moments difficiles au sein d’une société qui n’est pas tendre avec les faibles. Cet amour inconditionnel que le chien porte à son maître contraste avec le regard de la société qui juge, qui discrimine et qui peut exclure du jour au lendemain – ce que l’on appelle le déclassement. Pour le chien, même dans la difficulté, le maître est un dieu, il incarne la perfection, un idéal qui ne sera jamais égalé, son estime reste la même. Il est ainsi un compagnon fidèle pour ceux qui souffrent. ...

10 mars 2025 ·  BD  ♥

Environnement toxique

Le titre, dans sa traduction française, aurait pu être mis au pluriel puisqu’il est question de plusieurs environnements toxiques. Celui des sables bitumeux d’où est extrait le pétrole et celui créé par les hommes qui les exploitent. Kate Beaton a travaillé plusieurs années pour des entreprises du secteur afin de rembourser son prêt étudiant dans les délais impartis. De cette expérience difficile, elle tiré ce récit autobiographique en bande dessinée. On y voit en grande majorité des hommes et quelques femmes déracinés travaillant loin de chez eux au sein d’un environnement hostile dans des conditions spartiates qui essaient de vivre ensemble. Mais, pour les rares femmes, c’est encore plus difficile car elles subissent au mieux des remarques sexistes au pire des agressions sexuelles de la part de leur collègues masculins. En plus de ce constat, l’artiste en devenir va prendre petit à petit conscience de l’impact écologique de l’activité d’extraction, ce qui ajoute encore à son malaise. ...

2 mars 2025 ·  BD  ♥

Les Guerriers de l’Hiver

La guerre d’hiver est le nom communément donné au conflit qui a fait suite à l’envahissement de la Finlande par l’Union Soviétique en 1939. Une nième variation du David contre Goliath qui s’est déroulée à l’extrême nord des terres habitables qui comptent plus de lacs et de forêts que d’habitants. Nous étions en guerre contre la plus grande armée du monde, celle d’un pays dont la capitale contient à elle seule autant d’habitant que la Finlande entière. ...

Monique s'évade

Ce livre que vous lisez est, en un certain sens, le résultat d’une commande de ma mère. Après Combat et métamorphose d’une femme dans lequel Edouard Louis raconte comment sa mère, Monique, était enfin parvenue à quitter son mari qui exerçait une emprise sur elle, elle a suggéré à son fils d’écrire un nouveau chapitre de sa vie. Depuis que tu as fait ce livre [Combat et métamorphose d’une femme], j’ai encore beaucoup changé. Il faudra que tu l’écrives un jour ! Je me suis encore transformée. ...

Hirayasumi T1

Une “tranche de vie”, c’est l’expression qui est le plus souvent utilisée pour parler de cette série. Un jeune homme (29 ans), nouveau propriétaire d’une petite maison à Tokyo va accueillir sa jeune cousine (18 ans) qui débute ses études supérieures dans cette immense métropole. Le ressort de la série tient à l’opposition des caractères de ces deux personnages. Lui est un dilettante qui profite de la vie, se contente de peu et apprécie les plaisirs simples. Elle est travailleuse – peut-être ambitieuse – et surtout anxieuse. ...

30 janv. 2025 ·  BD  ♥

Le Roi Méduse T1

On est devant une oeuvre d’art. Tout est réalisé à la peinture (aquarelle) et à la plume pour le texte. Les images sont foisonnantes extrêmement expressives. Le simple fait de les regarder nous plonge dans une ambiance troublante. J’ai été intrigué, admiratif et vaguement inquiet face à ce tourbillon de sensations. Le cerveau reçoit trop de stimuli on se croirait dans un rêve. La calligraphie est elle aussi extrêmement soignée, manifestement réalisée à la plume en utilisant des encres de couleurs différentes. ...

12 janv. 2025 ·  BD  ♥

Elon Musk

L’objectif d’Elon Musk est à la fois très simple et très ambitieux, il veut sauver l’humanité. Pour cela, il lutte contre le réchauffement climatique en proposant des voitures (et d’autres produits) électriques, il tente depuis le début de contrôler l’intelligence artificielle en créant très tôt OpenAi et plus récemment via sa société dédiée xAI, prépare ardemment l’arrivée des humains sur Mars grâce à ses fusées SpaceX et il a contribué généreusement à la perpétuation de l’espèce humaine en ayant 11 enfants – et non, le rachat de Twitter ne rentre pas vraiment dans son plan, il s’est un peu emballé, mais va l’utiliser comme un mégaphone planétaire pour diffuser ses idées. Il dirige lui-même toutes ses entreprises et les fait avancer à un rythme infernal – il est doté d’un “mode démon” qu’il active souvent – et leur applique l’algorithme en 5 étapes auquel il a donné son nom afin d’optimiser chaque produit et processus de fabrication. ...

L’Oasis

Simon Hureau nous raconte dans l’Oasis son expérience de réhabilitation – et plus que ça – d’un jardin d’agrément et d’un potager au pied de sa maison. Il prône le naturel, les recettes simples sans traitement, en collant au plus près de la nature. Pour moi, le jardin doit rester cette sorte de quête permanente d’équilibre entre le faire et le laisser-faire, entre le dompté et le sauvage, entre le désiré et l’incontrôlable, entre l’artificiel et le naturel. ...

25 déc. 2024 ·  BD  ♥

La cendre et l’écume

Le titre de cette autobiographie en bande dessinée fait référence à des cendres dispersées au bord d’une falaise donnant sur l’océan – le décor est posé. Il y a tellement de romans graphiques autobiographiques que c’est presque devenu un sous-genre de la bande dessinée, mais celle-ci est particulière. Tout d’abord elle n’est pas consacrée qu’à son auteur, le talentueux artiste Ludovic Debeurme, mais à sa famille sur plusieurs générations. Sa construction est si originale et fragmentaire qu’elle en devient invisible, on est transporté d’un endroit à un autre, d’une époque à une autre, le plus naturellement du monde comme si l’on suivait la pensée de l’auteur. Enfin, sur le plan graphique, elle est faite uniquement de dessins à l’encre et de textes manuscrits. Le tout est d’une élégance rare, les belles courbes vont du dessin au texte et le fils a certainement réussi à atteindre le rêve de son père qui était peintre. ...

22 déc. 2024 ·  BD  ♥

Oleg

J’avais adoré Aâma, mais apprécié sans plus L’Homme gribouillé de Frederik Peeters. Il y a toutefois une constance, la qualité des dessins et c’est peut-être encore plus vrai ici, dans Oleg. Il revient au noir et blanc comme dans Koma et on n’en apprécie que plus son trait précis et minutieux. Son talent dans le domaine graphique est énorme, difficile de ne pas le reconnaître en lisant cet album. Dans cet album autobiographique – ou autofictionnel – il reprend le thème éculé de l’auteur en panne d’inspiration, mais il en fait quelque chose de très fort. La réussite de cet album tient à la fois au rythme du récit et à la sincérité du propos. L’émotion très peu présente au début émerge peu à peu lorsqu’il dévoile ses sentiments pour sa famille. On voit l’oeuvre se construire sous nos yeux, il partage ses doutes et ses questionnements. J’ai aussi beaucoup aimé sa critique – son dédain – de notre époque où les gens sont scotchés à leur écran. Il réussit à produire une oeuvre brillante sans avoir de réel sujet, c’est peut-être à ça que l’on reconnaît un grand auteur ? ...

6 déc. 2024 ·  BD  ♥

T’zée

Je suis le travail de Brüno depuis ses débuts avec des BD comme Nemo ou Inner City Blues. Son dessin au fil des années a conservé ses caractéristiques que l’on pourrait résumer à un style minimaliste et un peu abstrait avec des personnages qui ont de vraies gueules, pour le dire simplement on sait tout de suite qu’il est l’auteur d’un dessin. Dans cette nouvelle parution, son dessin s’est affiné tout en conservant son style caractéristique, si on ajoute à cela une palette de couleur choisie avec goût, le résultat est splendide. On en prend plein les yeux et on est immédiatement plongé des années en arrière au coeur de l’Afrique. ...

27 nov. 2024 ·  BD  ♥

La Cité perdue de Z

Ce livre est empreint de nostalgie. Celle des explorateurs de l’époque victorienne les Livingstone, Stanley – que j’avais déjà croisés dans Congo – ou encore Shackleton qui fait une apparition dans ce livre au côté de celui qui est au centre du récit et qui sera peut-être le dernier de cette époque, le colonel (lieutenant-colonel) Fawcett. Après eux, les explorations n’auront plus la même saveur, non seulement il y aura de moins en moins de terres vierges à découvrir, mais les techniques employées ne seront plus les mêmes – aujourd’hui les satellites sont les nouveaux explorateurs. Nostalgie également de l’Amazonie victime de la déforestation et de ses premiers habitants dont la survie a été compromise dès que les premiers colons européens ont accostés sur leurs terres. Mais il s’agit juste de mon ressenti, car l’aventure est passionnante, elle raconte la quête mythique de l’Eldorado – le vrai – au coeur des forêts impénétrables. Fawcett était une sorte de surhomme qui pouvait survivre dans des milieux aussi hostiles, mais il fallait faire preuve d’une bonne dose de courage – ou de folie – pour s’aventurer ainsi à l’aveuglette, pourvu d’un équipement minimal, dans des contrées où l’homme blanc ne s’était jamais aventuré auparavant. ...

La Distinction

Je n’ai pas étudié la sociologie à l’école et la découverte de cette BD me le fait regretter. Je connaissais évidemment les classes sociales, et observé attentivement la transformation du transfuge de classe Edouard Louis dans En finir avec Eddy Bellegueule, mais je dois avouer que je n’avais jamais réalisé à quel point nos goûts et nos comportements étaient assujettis à notre appartenance à une classe sociale. La BD se dit librement inspirée du livre éponyme de Pierre Bourdieu et c’est le cas puisque Tiphaine Rivière – dont le prénom donne un indice sur sa classe sociale – développe sa propre histoire qui prend sa source au sein d’une salle de classe d’un lycée, l’un des rares lieux où les élèves de différentes classes sociales se mêlent, travaillent ensemble et tissent des relations avant de rejoindre définitivement à l’âge adulte leur classe sociale de destination. L’exercice est délicat et forcément caricatural, mais le résultat est vraiment convaincant et c’est même surprenant de voir à quel point ces stéréotypes correspondent à la réalité – on pense forcément à des personnes que l’on a croisé ou que l’on côtoie. ...

24 oct. 2024 ·  BD  ♥

Rocky, dernier rivage

Un rêve de survivaliste. Une maison isolée sur une île bénéficiant de tout le confort moderne du jacuzzi en passant par le home cinema alimenté par des pétaoctets de films, de musique et de livres électroniques sans oublier de la nourriture et de l’alcool en quantité suffisante pour tenir plusieurs années. Un privilège réservé aux ultra-riches comme Fred qui a pu se payer cette prestation incluant le transport sur place alors que l’humanité était à l’aube de l’extinction. Évidemment, tout ne se passe pas comme prévu pour cette famille de réfugiés et pour le couple de domestiques qui les assiste. ...

La stratégie des antilopes

Une cohorte de prisonnier quitte la prison de Rilima après sept années de captivité. Il [un communiqué présidentiel diffusé à la radio] annonçait la libération d’une première vague de quarante mille détenus, tous de grands tueurs condamnés pour génocide, dans six pénitenciers à travers le pays. Plusieurs années après les événements qu’il a raconté dans ses deux précédents livres (Une saison de machettes et Dans le nu de la vie), Jean Hatzfeld a souhaité revenir sur le territoire du génocide pour rendre compte de la réintégration des génocidaires dans la société rwandaise. Difficile d’imaginer qu’un tel évènement puisse bien se passer, mais le gouvernement semble avoir considéré qu’il n’avait pas le choix, le pays ne pouvait pas continuer à vivre avec une importante partie de sa population purgeant sa peine au sein des prisons au lieu de cultiver la terre. ...

La Défaite de l’Occident

Emmanuel Todd a une réputation sulfureuse – sa page Wikipédia est verrouillée – liée à ses positions et à des propos sans concession. Il se traine la réputation ambigüe de prophète depuis qu’il a prévu – ou prédit – la chute de l’URSS et la fin de l’hégémonie américaine. Ce n’est pas un hasard, il ne lit pas l’avenir dans une boule de cristal, mais en s’appuyant sur sa spécialité, la structure familiale, et sur des statistiques macroscopiques qui n’ont rien d’original: la démographie, l’éducation, le budget. L’épine dorsale de La défaite de l’Occident est la disparition des religions en Occident – au premier rang desquelles le protestantisme qui selon lui a eu une grande influence au Royaume-Uni et aux États-Unis (les WASP) – qu’il classe en trois stades ...

Le Journaliste et l’Assassin

Le journaliste qui n’est ni trop bête ni trop imbu de lui-même pour regarder les choses en face le sait bien: ce qu’il fait est moralement indéfendable. Emmanuel Carrère a tout résumé dans cette préface à la nouvelle édition et, en tant qu’auteur de non-fiction écrivant sur des faits-divers – comme dans l’excellent L’Adversaire –, n’est d’ailleurs pas tout à fait d’accord avec cette phrase de Janet Malcolm qui constitue à la fois l’incipit et le noeud du livre. La relation particulière entre l’auteur (le journaliste) et le sujet (l’inculpé) est décortiquée dans le cadre d’une affaire particulièrement litigieuse, celle de Jeffrey MacDonald accusé d’avoir tué sa famille (sa femme enceinte ainsi que ses deux petites filles). Lors de son procès, il a passé un contrat avec le journaliste Joe McGinniss pour que celui-ci rédige un livre sur cette affaire. Il a honoré sa part du contrat, mais le contenu n’était pas du goût de l’accusé à tel point qu’il a intenté au journaliste un procès en diffamation. ...

6 août 2024 ·  Noir  ♥