Qui a tué mon père

Pendant toute mon enfance j’ai espéré ton absence. Après le fils, Edouard Louis, dans En finir avec Eddy Bellegueule, le frère dans L’effondrement, la mère dans Combats et métamorphoses d’une femme et Monique s’évade, je demande le père. Le livre est très court et ressemble à une longue lettre que l’auteur adresse à son père suivie d’une sorte de pamphlet politique – il me semble que c’est la première fois qu’il s’aventure sur ce terrain. Cette dernière partie est assez faible et vient conclure son analyse sans appel – d’ailleurs le titre ne comporte pas de points d’interrogation. C’est la fatalité qui a tué son père, une prédétermination, via sa classe sociale, à vivre cette vie et à mourir de cette façon. ...

Combats et métamorphoses d'une femme

J’ai commis l’erreur de lire d’abord Monique s’évade dont les évènements se déroulent chronologiquement après ceux de ce livre. Dans ce premier tome des évasions de Monique, la mère d’Edouard Louis, son fils nous raconte – et parle aussi à sa mère – des bribes de sa vie difficile d’avant – la partie combat –, la façon dont elle est enfin parvenue à s’émanciper d’un mari alcoolique et toxique – combat toujours – et enfin son épanouissement et sa transformation – la partie métamorphose – dans sa nouvelle vie. ...

Monique s'évade

Ce livre que vous lisez est, en un certain sens, le résultat d’une commande de ma mère. Après Combat et métamorphose d’une femme dans lequel Edouard Louis raconte comment sa mère, Monique, était enfin parvenue à quitter son mari qui exerçait une emprise sur elle, elle a suggéré à son fils d’écrire un nouveau chapitre de sa vie. Depuis que tu as fait ce livre [Combat et métamorphose d’une femme], j’ai encore beaucoup changé. Il faudra que tu l’écrives un jour ! Je me suis encore transformée. ...

L'effondrement

Ce roman, comme les autres romans autobiographique d’Edouard Louis, est poignant. Il est poignant parce qu’il est dur et vrai. L’alcoolisme, la violence et la mort. Les traumatismes de l’enfance ne guérissent jamais. Son frère a été rabaissé et rejeté par son père, il n’a pas eu la force de surmonter cette blessure et s’est suicidé à petit feu. Dans le milieu défavorisé qui l’a vu naître, et dans lequel il a toujours vécu, il n’y a pas grand chose pour s’accrocher, aucune prise stable, tout glisse et se dérobe. ...

La stratégie des antilopes

Une cohorte de prisonnier quitte la prison de Rilima après sept années de captivité. Il [un communiqué présidentiel diffusé à la radio] annonçait la libération d’une première vague de quarante mille détenus, tous de grands tueurs condamnés pour génocide, dans six pénitenciers à travers le pays. Plusieurs années après les événements qu’il a raconté dans ses deux précédents livres (Une saison de machettes et Dans le nu de la vie), Jean Hatzfeld a souhaité revenir sur le territoire du génocide pour rendre compte de la réintégration des génocidaires dans la société rwandaise. Difficile d’imaginer qu’un tel évènement puisse bien se passer, mais le gouvernement semble avoir considéré qu’il n’avait pas le choix, le pays ne pouvait pas continuer à vivre avec une importante partie de sa population purgeant sa peine au sein des prisons au lieu de cultiver la terre. ...

Sambre

Alice Géraud nous raconte une sordide histoire de viols. Un homme a sévi pendant des dizaines d’années autour de la Sambre dans le nord-est de la France. C’était à une époque où les tueurs et les violeurs en série ne remplissaient pas encore les écrans télé – c’était avant les affaires Marc Dutroux, Michel Fourniret et Guy Georges. Les profilers, l’analyse des données, le bornage téléphonique et la police scientifique n’existaient pas encore. Mais est-ce vraiment une excuse ? Ce qui semblait occuper les enquêteurs à cette époque préhistorique par rapport à la révolution #MeToo était plutôt la guerre entre la police et la gendarmerie et la tendance à minimiser le sort de victimes quand ce n’était pas les culpabiliser pour leur comportement ou leur tenue. ...

Peste & Choléra

Qui connaît Alexandre Yersin ? Pourtant, il est passé à la postérité en donnant son nom au tueur ultime, le bacille de la peste, le terrible Yersinia pestis. On s’attend à ce que cette découverte soit le point d’orgue de ce roman de Patrick Deville qui ressemble à une drôle de biographie du savant. Mais il fait tout pour nous convaincre que cette découverte n’est qu’une anecdote dans le parcours de ce touche-à-tout qui s’est intéressé à une grande partie des avancées scientifiques de son époque dans des domaines variés depuis sa résidence installée en Indochine. Là ou le grand public voit le savant, le collaborateur du grand Louis Pasteur, Patrick Deville voit l’explorateur. ...

Une saison de machettes

Comment en suis-je venu à lire ce livre ? Ma première approche du génocide s’est faite par le biais du livre de Pierre Bayard, Aurais-je été résistant ou bourreau ? Dans ce livre, il examinait plusieurs phénomènes de tueries de masse dont celles du Rwanda, mais aussi celles perpétrés par le 101e bataillon de police de réserve allemande dont le comportement m’a fait penser à celui des Hutu et je ne suis pas le seul puisque Jean Hatzfeld y fait aussi allusion. Puis c’est la lecture de Goražde consacré à la guerre de Bosnie-Herzégovine – très proche d’un génocide – qui m’a fait repenser à ce sujet. Le livre est fait d’une alternance de chapitres consacrés aux témoignages des tueurs et de chapitres dans lesquels l’auteur fait part de ses réflexions, nous livre son analyse ou encore précise des éléments de contexte. Il est le second tome de la trilogie Récits des marais rwandais consacrée au génocide débutée par Dans le nu de la vie qui donnait la parole aux victimes et clôturée par La Stratégie des antilopes. ...

Dans le nu de la vie

L’expression qui a donné son titre au livre est de Sylvie Umubyeyi, l’une des rescapée Tutsi du génocide perpétré par les Hutus au Rwanda. En 1994, entre le lundi 11 avril à 11 heures et le samedi 14 mai à 14 heures, environ 50 000 Tutsis, sur une population d’environ 59 000, ont été massacrés à la machette, tous les jours de la semaine, de 9 h 30 à 16 heures, par des miliciens et voisins Hutus, sur les collines de la commune de Nyamata, au Rwanda. ...

Zone de crise

Si les personnages avec leurs têtes de personnages de dessins-animés – inspirés d’ailleurs de la série pour enfant Meg and Mog – pourraient laisser planer un doute, la lecture des premières pages va rapidement le balayer. La lecture de ce livre est à réserver à un public averti. Pour résumer, il s’agit d’une sorte de South Park dont chaque membre faisant partie communauté LGBTQI+ – comme le dit Diesel le fils de Werewolf Jones –, est complètement dépravé, porté sur les drogues et le sexe et le tout non censuré – à côté South Park ressemble à un dessin animé bienveillant comme Les Bisounours. Bref, vous êtes avertis. ...

26 juil. 2022 ·  BD  ♥

La méprise

Après avoir lu L’Inconnu de la poste et surtout après avoir écouté l’émission À voix nue consacrée à Florence Aubenas, j’ai eu envie de lire un autre de ses livres. Mon envie n’avait pas à voir avec son écriture, mais plutôt avec ce qu’elle est et ce qu’elle a accompli, son courage, son engagement, sa volonté et ses convictions. Mon choix s’est porté sur La méprise tout simplement parce que j’étais intrigué par cette affaire d’Outreau. J’étais jeune au moment des faits et j’en avais simplement entendu parler au journal télévisé – tout de même à de nombreuses reprises. Je regardais cette affaire de loin sans trop comprendre comment et pourquoi autant de personnes étaient impliquées, j’ai donc voulu en savoir plus – et j’ai certainement été aussi poussé par un peu de curiosité malsaine. Sur ce dernier point, je n’ai pas été déçu. ...

En finir avec Eddy Bellegueule

Ce livre a été un pavé dans la mare lors de sa sortie en 2014. Le premier roman d’un jeune homme, qui n’avait que 21 ans à l’époque, a divisé la critique et fait couler beaucoup d’encre. Le livre a marqué par son intransigeance et son réalisme cru – très cru – vis à vis de la réalité. On a même reproché à celui qui se nomme désormais Edouard Louis d’avoir exagéré, caricaturé ou travesti la réalité en employant les mots, la langue, des personnes de son entourage – à commencer par sa famille – qu’il met en exergue en utilisant une typographie spécifique (les passages correspondant sont en italique). En racontant de façon aussi cru la vie des gens qui les entourent les auteurs se font rarement des amis, Philip Roth en a fait les frais, mais aussi lancé grâce à ce premier acte de transgression l’une des plus belles carrières de la littérature. L’écriture et la littérature sont à ce prix, il faut écrire sur ce que l’on connaît, le fameux “write what you know” et le jeune auteur l’a bien compris puisque depuis ce premier roman il continue d’exploiter cette veine autobiographique comme une catharsis. ...

Cent mille ans

100 000 ans, il faut se rendre compte de l’échelle. Depuis Jésus-Christ, il s’est écoulé un peu plus de 2000 ans soit à peine un peu plus de 2% de 100 000 ans. Et ces 100 000 ans représentent la durée pendant laquelle il sera nécessaire de gérer nos déchets nucléaires ! Le chiffre est vertigineux et pose des problèmes inédits comme le choix des solutions à adopter pour qu’au fil des siècles et des millénaires nos descendants disposent de toutes les informations requises pour assurer la gestion de ces déchets que nous leur aurons si gentiment légué. Evidemment, ce n’est pas le problème le plus urgent à résoudre, il y en a bien d’autres, plus prosaïques, qui se posent dès maintenant. Comme la stratégie de stockage, les technologies à utiliser et, une fois cela établi, le délicat choix du lieu. Il y a des critères scientifiques à considérer comme le type de sol – il vaut mieux éviter de les enfouir dans une région à forte activité sismique tant qu’à faire – mais aussi bien d’autres considérations comme le fait que personne n’a vraiment envie d’accueillir ces poubelles radioactives à longue durée près de chez lui. Et là, il faut employer des techniques d’un autre ordre, disons plus politiques – au sens large – que scientifiques. Informer et convaincre sont les parties émergées de l’iceberg qui, selon cette enquête, en compte bien d’autres comme de l’incitation dans différentes gradations allant de l’octroi d’avantages divers et variés à la menace. Et c’est là le coeur de l’enquête menée par les journalistes Gaspard d’Allens et Pierre Bonneau et présentée sous la forme d’une bande dessinée réalisée par Cécile Guillard. ...

27 août 2021 ·  BD

Presque toute la vérité sur les lutins

Je suis sûr que vous avez toujours voulu en savoir plus sur les lutins. Vous savez ces petits êtres habillés en rouge et vert portant barbe et chapeau pointu. Certains les aiment tellement qu’ils leur érigent des statues dans leur jardin. Kitschs ou mignons, ils font indéniablement parti de notre imaginaire commun et sont même appelés à la rescousse lorsque le Père Noël manque de main d’oeuvre pour fabriquer ses jouets à la fin de l’année. ...

Écoute le chant du vent suivi de Flipper, 1973

Écoute le chant du vent et Flipper, 1973 sont les deux premiers romans d’Haruki Murakami. Il les a écrits sur la table de sa cuisine. Ils forment avec La Course au mouton sauvage La trilogie du Rat – le Rat est une personne d’où la majuscule. Le Rat tourna la tête vers le plafond et puis, lentement, il ferma les yeux. Ensuite, il éteignit toutes les lumières qui peuplaient son cerveau, et son esprit s’engouffra dans de nouvelles ténèbres. ...

Le Météorologue

Un coup de coeur pour un livre comme l’on en a peu au cours d’une année de lecture, le dernier de ce genre est L’ordre du jour et il a eu le Goncourt en 2017. Olivier Rolin rend avec ce livre un bel hommage à Alexéï Féodossévitch Vangengheim, le météorologue, et avec lui à toutes les victimes de la grande Terreur en URSS. Météorologue avec les aléas que cela comporte – surtout à l’époque – est une profession à risque dans le monde paranoïaque sur lequel régnait le tyran Staline. Il n’y a qu’un pas – Staline n’est pas à ça près – entre une prévision qui ne se réalise pas et une volonté de sabotage. C’est pour cette raison que certains comme Alexéï Vangengheim ne savait même pas pourquoi ils avaient été arrêtés. C’était pourtant un homme paisible qui aimait avant tout son métier, la science et sa famille. Certainement un visionnaire dont l’élan vu brisé. Voici ce qu’il écrivait dans l’une de ses lettres. ...

À livre ouvert

Nous sommes en présence de la publication du journal intime de Logan Mountstuart. Comment, ce nom ne vous dit rien, vous ne connaissez pas ce célèbre écrivain ? En cherchant un peu mieux, vous commencez à deviner le subterfuge, il est écrit Roman sur la couverture … Si vous n’avez jamais entendu parler de ce Logan Mountstuart, c’est donc normal car il n’existe pas et n’a jamais existé. Il est né dans l’esprit de l’écrivain britannique bien réel William Boyd. Ce dernier a décidé de réaliser un exercice de style particulier: écrire un journal intime à la place d’un autre. Ce n’est déjà pas facile mais il s’est lancé un défit supplémentaire en en se mettant dans la peau d’un homme vivant au début du XXe siècle. Si ce positionnement temporel n’a pas été choisi par hasard, le destin et la profession de ce personnage ne l’ont pas été non plus. Positionner son personnage au début d’un siècle aussi mouvementé va permettre à l’auteur de confronter son personnage à de nombreux choix et difficultés dans le but de mieux l’évaluer et d’explorer toutes ses facettes à la lumière de ces différents éclairages. Faire de lui un écrivain est le moyen d’explorer le processus complexe de ce métier si particulier qui a la plupart du temps des répercussions importantes sur la vie. ...

Bouquiner

Avis aux rats de bibliothèque, à ceux qui ont toujours un livre dans leur sac et une pile qui les attend chez eux, à ceux qui ne lisent pas que sur le siège de leurs toilettes ou chez le dentiste, bref à ceux qui aiment bouquiner. J’insiste sur le verbe bouquiner qui forme le titre du livre en marquant bien sa différence avec le verbe lire. Contrairement à lire qui est assez froid et impersonnel, bouquiner revêt une consonance affective et fait basculer immédiatement le propos dans le registre des sentiments. A entendre ce verbe sympathique on imagine un livre de poche écorné – disons un Folio ou un 10/18 – à la tranche jaunie et au dos fatigué d’avoir été tordu par des mains curieuses – il est vrai que l’on s’imagine mal en train de bouquiner un cahier des charges, un contrat ou une autre joyeuseté du genre. ...

Kennedy et moi

J’ai du mal à parler de ce livre. Pourtant je l’ai beaucoup aimé. Peut-être que mon manque d’inspiration est lié à son sujet, diffus et finalement assez commun. Il met en scène une famille qui s’est fissurée et est prête a éclater. En fait, le coeur a déjà éclaté mais une fine couche à la surface permet de la maintenir à flot. Les enfants sont grands (une fille et deux fils, des jumeaux) et la famille n’est désormais composée que d’adultes qui n’ont plus grand chose en commun – je dirais même que tout oppose. Le plus atteint de tous est incontestablement le père – disons que c’est lui qui supporte le plus difficilement le poids de cette situation. Depuis un pétage de plomb mémorable en public, cet écrivain n’a plus écrit une ligne et navigue entre neurasthénie et folie pure. ...

La taupe

Lors de la sortie du film, au lieu de faire comme tout le monde en allant passer quelques heures assis dans une salle obscure, je me suis mis en tête de lire le livre. Pour avoir lu plusieurs de ses romans, je connaissais et j’appréciais le travail de John le Carré. Je pense que mes lectures datent un peu car j’avais oublié la complexité de ses romans d’espionnage. Ce n’est pas vraiment l’intrigue qui est complexe bien que ces histoires d’agents doubles ne coulent pas toujours de source. La complexité tient selon moi à deux choses: ...