La conseillère

Ce livre est un régal. Tout d’abord la prose est fluide et aérée, le texte est facile à lire tout en étant bien écrit. Le récit est bien mené, tout s’enchaîne naturellement à tel point que j’ai eu du mal à le poser. Bref, un travail de journaliste talentueux, un journaliste qui sait bien raconter des histoires sans toutefois forcer son talent. Et l’histoire en question, bien que centrée sur le personnage énigmatique et charismatique de Marie-France Garaud, est celle de la toute jeune Ve République vue depuis les bureaux de l’Élysée et de Matignon. ...

Le Bûcher des innocents

Ce fait divers a hanté ma jeunesse – encore plus que l’affaire d’Outreau racontée par Florence Aubenas dans La méprise, avec là aussi un gros dérapage de la justice – j’ai eu l’impression de partager pendant des années mes repas avec les familles Villemin et Laroche – il existe meilleure compagnie. À l’époque je ne comprenais pas tout, mais ces histoires tordues, cette traque et surtout la présence terrifiante du Corbeau auteur de lettres et d’appels anonymes m’ont marqué. Bien des années après, j’ai dévoré avec un grand intérêt ce pavé, cette somme consacrée à l’affaire du petit Gregory. C’est un livre remarquable, fruit d’un travail de cinq ans qui a dû être une catharsis pour la journaliste qui a pu, avec le recul, revenir sur les évènements et sur les comportements des acteurs et des commentateurs de ce drame à commencer par elle-même qui s’interroge et nourrit des regrets et des remords. À leur décharge, il faut dire que cette affaire avait tout pour devenir le feuilleton macabre de la France des années 80. Les histoires de famille, la jalousie de la réussite sociale, la tromperie, un infanticide, la tabou de la mère, la vengeance, bref tout ce qui fait parler dans toutes les villes et les villages se retrouvait exposé jour à près jour au journal télévisé. On voudrait écrire une tragédie ou un polar, on ne pourrait pas inventer quelque chose de pire – ou de mieux selon le point de vue. ...

Les nuits que l'on choisit

Dans Les nuits que l’on choisit, Élise Costa nous fait vivre son métier de chroniqueuse judiciaire, elle est spécialisée dans les faits-divers. Son métier consiste avant tout à suivre les procès et à en rendre compte dans des articles – qui intéresseront si possible de nombreux lecteurs. C’est une chose, mais c’est sans compter l’impact qu’ont ces affaires sur celle qui les suit. Elle prend en pleine figure le flot d’émotions qui se déverse lors des procès, celles des victimes et de leurs proches, mais aussi celles des accusés et des personnes qui les entourent. Puis parfois le doute s’insinue et si ce n’était pas elle ou lui le coupable ? ...

Tor

Tor est un tout petit village de montagne situé non loin de la principauté d’Andorre, dans les Pyrénées Catalanes. Souvent dans les petits villages l’ambiance ne correspond pas à l’image de carte postale, les tensions, les fâcheries et les disputes sont monnaie courante et perdurent parfois sur des générations. Mais ici les conflits ont pris une toute autre ampleur puisqu’il y a eu des morts. Une équipe de télévision se rend sur place pour mener l’enquête sur ce sinistre village et se fait happer par son sujet. Elle se retrouve vite à mener une enquête qui n’est pas sans risque. Le livre raconte l’histoire du tournage de ce reportage qui est relativement intéressante. Le bémol est que l’on n’est pas du tout dans le journalisme littéraire, la narration est poussive et même parfois peu claire. ...

Les hommes manquent de courage

C’est ma mère qui avait insisté pour m’appeler Jessie. Elle ne s’était pas dit que ça ferait américaine, ou esthéticienne, ou candidate de télé-réalité. Elle trouvait ça joli. Je suis professeure de mathématiques. Mathieu Palain nous raconte l’histoire – a priori vraie – de Jessie – son nom a été modifié pour ne pas qu’on la reconnaisse. On sent bien que l’histoire est romancée et il est d’ailleurs écrit “roman” sur la couverture, mais à la fois, comme il le dit lui-même, elle ne peut qu’être vraie – sinon elle serait invraisemblable. ...

Atome 33

L’élément chimique de numéro atomique 33 est l’arsenic. Dans la ville de Rouyn-Noranda une étude réalisée sur une population d’enfants a révélé chez eux un taux d’arsenic bien supérieur à la moyenne. Cette matière est tellement toxique que son nom est devenu synonyme de poison. Il n’a pas fallu longtemps pour désigner la coupable, la fonderie Horne dont les cheminées surplombent la ville. Les habitants s’engagent alors dans un combat du pot de terre contre le pot de fer. ...

Toronto

Je suis redevable aux éditions P.O.L de m’avoir donné l’opportunité de rattraper, de façon tout à fait honorable, des années de lacunes sur les frasques de Johnny Depp et Amber Heard, fâcheuses conséquences d’un manque d’assiduité évident dans lecture de la presse people. Ils remâchaient ad nauseam une dispute qu’ils avaient eue à Toronto, parlaient de gens dont je ne savais rien. Le livre ressemble à un épais dossier assez fouillis, il contient des retranscriptions de conversations, des SMS, des déclarations, des comptes rendus de procès, des interviews. Je laisse la parole à Élisabeth Benoit qui en parle bien mieux que moi – j’ai du tronquer la phrase qui doit à peine tenir sur une page. ...

Le fantôme de Truman Capote

La journaliste Leila Guerriero a mis le doigt sur une ellipse dans la biographie de Truman Capote qui correspond à la fin de l’écriture de son chef-d’oeuvre, De sang froid. Pendant cette période qui a duré un peu moins de deux ans, il a séjourné loin de New York, dans un petit village de la Costa Brava, Palamós. À partir du printemps et jusqu’après l’été 1962, l’écrivain américain Truman Capote est resté dans cette maison, à écrire le dernier tiers de son livre De sang-froid, qu’il définissait comme un “roman de non-fiction”, un genre dont il s’est attribué l’invention. ...

Le Journaliste et l’Assassin

Le journaliste qui n’est ni trop bête ni trop imbu de lui-même pour regarder les choses en face le sait bien: ce qu’il fait est moralement indéfendable. Emmanuel Carrère a tout résumé dans cette préface à la nouvelle édition et, en tant qu’auteur de non-fiction écrivant sur des faits-divers – comme dans l’excellent L’Adversaire –, n’est d’ailleurs pas tout à fait d’accord avec cette phrase de Janet Malcolm qui constitue à la fois l’incipit et le noeud du livre. La relation particulière entre l’auteur (le journaliste) et le sujet (l’inculpé) est décortiquée dans le cadre d’une affaire particulièrement litigieuse, celle de Jeffrey MacDonald accusé d’avoir tué sa famille (sa femme enceinte ainsi que ses deux petites filles). Lors de son procès, il a passé un contrat avec le journaliste Joe McGinniss pour que celui-ci rédige un livre sur cette affaire. Il a honoré sa part du contrat, mais le contenu n’était pas du goût de l’accusé à tel point qu’il a intenté au journaliste un procès en diffamation. ...

6 août 2024 ·  Noir  ♥

V13

Emmanuel Carrère a suivi, pendant un an, le procès des attentats du 13 novembre 2015 afin de rédiger une chronique hebdomadaire pour Le Nouvel Obs. Un job de journaliste juridique en somme, mais pas pour suivre n’importe quel procès. Dans cet exercice l’auteur n’est pas un débutant, comme le souligne son directeur de la rédaction dans la postface, puisqu’il a déjà écrit de nombreux articles dont ceux qui ont été à l’origine de son livre L’Adversaire et ceux qui sont regroupés dans le recueil Il est avantageux d’avoir où aller. ...

L'enfance d'Alan

On pourrait dire que ce livre constitue, avec Martha & Alan, un prequel à La guerre d’Alan. Comme son nom l’indique, ce volume s’intéresse à l’enfance d’Alan Ingram Cope et nous plonge donc dans une époque assez lointaine. Dès l’introduction, Emmanuel Guibert touche au sublime. Il nous transporte en Californie dans une suite de plans pris depuis l’intérieur d’une voiture, les couleurs du jour déclinant au fil des pages, pour illustrer un texte à la fois simple et très évocateur. ...

16 juin 2024 ·  BD  ♥

Richie

Richard … Vous voulez en dire du mal ou du bien ? Parce qu’il y a matière à en faire un démon ou un saint, vous savez ! Richie est le surnom affectueux que donnait les étudiants de Sciences Po à leur directeur bien aimé Richard Descoings. Jamais on a avait vu directeur d’école adulé comme une rock star et il y avait des raisons à cet amour. Homosexuel et militant de la première heure pour l’association AIDES, il était un fêtard invétéré. Un profil atypique pour un haut fonctionnaire ayant fait Sciences Po et l’ENA qui passait ses nuits dans les boîtes mythiques de la capitale: Le Queen, Les Bains Douches, Le Palace – elles ont toutes fermées leur porte – qui troquait au petit matin son pantalon en cuir et son t-shirt contre un classique costume-cravate pour rejoindre une réunion au sein d’un cabinet ministériel. Mais être anticonformiste ne suffit pas à faire de vous une idole, surtout auprès d’une population aussi exigeante, il faut obtenir des résultats. Il a réformé profondément cette école ancrée dans la plus grande tradition française pour en faire une institution au rayonnement international sur le modèles des grandes universités anglo-saxonnes comme Oxford ou Harvard. ...

Sambre

Alice Géraud nous raconte une sordide histoire de viols. Un homme a sévi pendant des dizaines d’années autour de la Sambre dans le nord-est de la France. C’était à une époque où les tueurs et les violeurs en série ne remplissaient pas encore les écrans télé – c’était avant les affaires Marc Dutroux, Michel Fourniret et Guy Georges. Les profilers, l’analyse des données, le bornage téléphonique et la police scientifique n’existaient pas encore. Mais est-ce vraiment une excuse ? Ce qui semblait occuper les enquêteurs à cette époque préhistorique par rapport à la révolution #MeToo était plutôt la guerre entre la police et la gendarmerie et la tendance à minimiser le sort de victimes quand ce n’était pas les culpabiliser pour leur comportement ou leur tenue. ...

Exorcisme

Gérald Bronner est un sociologue reconnu, il s’est même récemment vu confier une mission par l’Élysée connue sous le nom Les Lumières à l’ère numérique – ou plus prosaïquement commission Bronner. Dans ce livre, il revient sur sa jeunesse à Nancy. Enfant de la classe populaire, il a frôlé la délinquance avant d’être détourné de ce chemin et guidé vers des mondes mystérieux par un oncle taciturne qui ne sortait jamais de son appartement rempli de livres. Cette initiation a donné lieu à la formation du C.E.R.F., le rétroacronyme – puisqu’il a un double sens – de “Chercheurs En Réalisme Fantastique” qui réunissait tout ce que la ville de Nancy comptait d’enthousiastes pour la féérie, le mystère, le caché, en somme tout ce qui n’était pas la vie plate et ennuyeuse. Le Seigneur des anneaux et Le Matin des magiciens – sous-titré Introduction au réalisme fantastique – étaient leurs livres de chevet. ...

Xavier Dupont de Ligonnès

Qui n’a pas entendu parler de l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès (XDDL) ? Je me suis intéressé à ce sujet après avoir écouté avec un vif intérêt la série de podcasts Mécanique du journalisme consacrée à l’enquête menée par quatre journalistes du magazine Society. Elle raconte leur travail méticuleux qui a donné lieu à ce long article publié en deux volets à partir de juillet 2020 et repris ici en livre. Ces livraisons du magazine ont connu un énorme succès qui s’est concrétisé par plusieurs tirages et une exposition accrue du quinzomadaire. ...

L'établi

Un intellectuel à l’usine, Robert Linhart, normalien, sociologue s’est fait embaucher dans une usine des 2 CV en 1968 en passant sous silence ses diplômes – le livre a été publié en 1978. Son objectif était double: dénoncer les conditions de travail aliénante de la chaîne et contribuer à la révolte. Ces conditions de travail se traduisaient par la répétition du même geste 10 heures par jour sous la pression de la chaîne qui avance impitoyablement ou sous l’injonction des quotas (boni) à respecter. C’est l’époque en France de la main d’oeuvre corvéable à merci issue de l’immigration. Il montre comment cette population plus vulnérable est littéralement exploitée. La direction a sous la main des employés d’autant plus dociles qu’ils savent qu’un faux pas leur vaudra plus qu’un licenciement, un retour au pays et donc la fin du financement de leur famille. ...

Chroniques d’une station-service

Quel plaisir de retrouver Alexandre Labruffe et son personnage de poète paumé évoluant tant bien que mal au sein d’une civilisation sur le déclin. Cette position d’observateur décalé est peut-être encore plus vraie ici où il se retrouve au sein de son centre névralgique, une station-service comme une oasis de l’ère industrielle, que dans un hiver à Wuhan, perdu en pleine pandémie de COVID. Le lendemain, une Porsche grise s’arrête à côté d’une deux-chevaux bleu passé, pompes n° 1 et n° 3: il n’y a rien de plus démocratique et républicain qu’une station-service. ...

Une sortie honorable

La situation en Indochine est tout simplement désastreuse, admit-il. La guerre est pour ainsi dire perdue. Tout au plus peut-on espérer lui trouver une sortie honorable. J’avais adoré L’Ordre du jour, mais cette Sortie honorable est peut-être un cran au-dessus. C’est bien simple, j’ai eu envie de tout citer, tout noter – ça a d’ailleurs été la principale gène de ma lecture – tellement certaines phrases sont à la fois belles, percutantes et vraies. ...

S’enfuir

Pour une fois Guy Delisle ne nous raconte pas sa vie, mais la vie d’un autre. Enfin, un moment bien particulier de la vie de Christophe André – non il ne s’agit pas du célèbre psychiatre – qui a été retenu en otage. Il venait de commencer sa première mission dans le cadre d’une ONG (MSF: Médecins Sans Frontières) en tant qu’administrateur (travail de bureau) dans le Caucase du nord (Tchétchénie) lorsqu’il a été enlevé. Si personne n’est préparé à être un otage, on peut imaginer qu’un comptable – sans faire offense à la profession – l’est encore moins. ...

19 juin 2022 ·  BD

L’arche des Kerguelen

Un livre de voyage comme je les aime surtout quand il nous fait découvrir, comme ici, des lieux où il est difficile de se rendre et dont le nom a lui seul, les îles de la désolation, est déjà tout un programme. Celui-ci est écrit par l’ancien journaliste et grand reporter Jean-Paul Kauffmann. On peut dire sans prendre de risque qu’il a bien préparé son voyage, il a beaucoup lu sur ce territoire et en particulier sur son histoire. Il distille ces connaissances emmagasinées petit à petit au cours de son voyage et de son séjour. Lorsque l’occasion se présente, il évoque les différentes expéditions et en particulier celles menées par celui qui a laissé son nom à cet archipel balayé par les vents. ...